On peut facilement se perdre dans la forêt brumeuse des règles de typographie tant elles englobent un grand nombre d’éléments dans la composition d’un texte…
Il faut tout d’abord expliquer le choix d’un titre (« orthotypographie »). Il s’agit d’un mot-valise, fruit d’une subtile alliance entre « orthographe » et « typographie ». Il faudrait donc se conformer aux normes de l’orthographe (grammaticale et d’usage) et à celles, plus difficiles à définir, de la typographie dans un texte qui est généralement destiné à la production éditoriale.
Le but affiché est ainsi d’harmoniser les textes de journaux ou de livres pour en améliorer le confort de lecture. Il n’est toutefois pas interdit d’appliquer ces règles à d’autres types de textes (mémoires, thèses, documents administratifs…). L’objectif est, dans tous les cas, de clarifier le document destiné au lecteur.
Alors, à quoi s’intéresse donc l’orthotypographie ?
A beaucoup de choses : pêle-mêle, la ponctuation, les grandes et petites capitales, les abréviations, l’écriture des chiffres (arabes ou romains), les sigles, les signes diacritiques (accents, trémas…), l’italique, les unités de mesure…
Au-delà de tous ces éléments et des normes linguistiques – ou en parallèle dans le travail du correcteur -, il y a aussi les questions d’espacement, d’alignement, d’ordre et plus généralement de mise en forme. Questions qui feraient donc aussi du texte, pour employer une périphrase verbeuse (et à la mode), un « document de communication visuelle ». Il l’est d’ailleurs d’autant plus que la diversité des manuscrits sur lesquels on travaille fait qu’on est parfois amené à en traiter certains où le texte se conjugue à chaque page avec l’image et fait de la mise en forme un élément central.
Donc, en orthotypographie, tout fait sens, y compris le vide. L’espace – le blanc – fut une réalité physique dès les premiers temps de l’imprimerie. A l’époque, elle était matérialisée par une pièce (« muette »), en bois ou en métal, avec une simple absence de relief à la surface. Et aujourd’hui, pour les traitements de texte, ce qui n’est pas un caractère est bel et bien un signe, et est donc aussi tangible que le point-virgule ou la lettre.
Bref, la forêt est vaste et dense… D’autant plus quand on ajoute qu’en matière d’orthotypographie, il est plus souvent question d’usage que de règles ou de conventions et que les usages sont flottants. Les conventions peuvent en effet différer d’une maison d’édition à l’autre. C’est ce qu’on appelle la « marche typographique ». Ces marches, propres à chaque maison ou journal, ont d’ailleurs parfois remplacé pour les correcteurs un manuel longtemps existant, le Code typographique édité par le SNCMLPIG* (aujourd’hui quasiment introuvable si ce n’est à prix d’or, et d’occasion, sur le site d’une grande entreprise de commerce électronique). Il existe quand même aujourd’hui des codes typo disponibles bien utiles pour fixer quelques règles.
En lisant la liste en apparence fourre-tout donnée plus haut, on pourrait en être un peu découragé et considérer qu’orthographier correctement un mot compte bien plus que ne pas oublier les deux capitales de « Première Guerre mondiale » (d’autant plus que, sur ce cas précis, de nombreuses maisons d’édition optent pour deux minuscules)…
Comment le correcteur s’accommode-t-il de cette question du caractère flottant des usages? En se référant le plus souvent aux codes typographiques en vigueur et à la statistique. Si une majorité de codes typo attestent que « Première Guerre mondiale » s’écrit ainsi, il n’y a pas de raison de ne pas s’y conformer. Comme le rappelle Jean-Pierre Lacroux, les bons correcteurs « ne savent pas tout« , cultivent le doute avec constance, et la référence aux usuels (ou à Internet) en cours de correction, devient vite un automatisme ; mais ce n’est aussi que pour mieux nous rappeler que la correction est « le savoir-vivre de la langue écrite »…
Par ailleurs, Il y a loin du code typo à respecter ou à harmoniser dans une oeuvre littéraire, à savoir là où la licence poétique peut se faire « ravageuse » pour les normes en vigueur, à celui qui sera de rigueur pour un guide touristique ou un essai sur les drones. Ainsi, la scansion choisie par tel romancier pour imprimer un rythme spécifique à son texte, ne nous permet pas toujours d’intervenir librement pour rétablir une ponctuation qui respecterait la norme syntaxique. D’autre part, s’il est aisé de faire une distinction entre « mont Blanc » (le sommet) et « Mont-Blanc » (le massif), il l’est moins de la faire entre l’armée française et l’Armée rouge…
Si certains ont choisi leur grammaire de référence pour le code linguistique, il est plus difficile de trouver l’équivalent pour les codes typo…
Forêt brumeuse donc… Mais il faut à un moment retrouver le chemin qui ramène vers la clarté. Consulter plusieurs codes typo, si possible, comme on a une bonne grammaire ou un dictionnaire sous le bras, et on pourra opérer tranquillement le travail d’élagage (pour filer une dernière fois la métaphore forestière) qu’impose l’harmonisation typographique d’un texte. Il s’agit moins de se plier à une loi qui imposerait d’en haut de rester dans les clous (on le répète, les « marches », par définition particulières, font la plupart du temps autorité), que de faire souvent des choix de bon sens.
C’est de toute manière l’expérience qui donne petit à petit au correcteur une certaine assurance, par la récurrence de certaines fautes, et par conséquent de moins en moins la nécessité de la vérification de la norme ou de l’usage par les usuels. C’est un fait que le caractère flottant des usages peut difficilement se dépasser et le doute continuera longtemps à assaillir le correcteur dans la pratique de son art…
Et si la disharmonie dans un texte se perçoit très vite et peut être plus ou moins perturbante, l’harmonie, conséquence d’un travail bien mené par le relecteur, ne se voit pas nécessairement tant il est logique que le texte soit autant uniforme que dépourvu de fautes.
C’est la nature même du livre ou de la revue que d’être complet et abouti, livrable au lecteur tel un produit fini. La qualité de l’oeuvre sera d’autant mieux perçue, l’article fera d’autant mieux autorité qu’ils auront été apprêtés avec soin par celui que l’on ne nomme pas encore orthotypographe. On peut inventer le mot pour l’occasion…
* Syndicat National des Cadres et Maîtrises du Livre, de la Presse et des Industries Graphiques
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