« Je rêve d’écrire un livre sur rien » …
C’est ce que déclarait Gustave Flaubert en ajoutant : « un livre qui se tiendrait lui-même par la force interne du style. » Le romancier exprimait là son souci de l’exigence formelle au détriment du sujet. En d’autres termes, c’est le travail sur la langue qui était au cœur de ses préoccupations lorsqu’il écrivait un livre.
Bien sûr l’étudiant qui rédige un mémoire ne saurait faire œuvre d’artiste, et il ne s’agit pas de rechercher le « beau », même si une certaine élégance dans le choix du lexique ou des tournures peut être appréciée. Et surtout, contrairement à Flaubert, il ne doit pas mettre son sujet au second plan !
Alors se pose la question : y a-t-il un style universitaire ?
Pour y répondre, il faut sans doute relier la préoccupation du style aux deux articles précédents. Les mots et les tournures choisis pour tisser la trame de l’argumentation doivent avant tout servir l’efficacité et emporter la conviction des lecteurs. Il faut, pour y parvenir, enrichir et maîtriser la terminologie propre à votre discipline de prédilection et le lexique du champ de recherche que vous aurez circonscrit. Tout en évitant de trop « jargonner », il faut trouver le juste équilibre …
Du coup faudrait-il opter pour la simplicité ? …
On serait ici tenté de répondre oui, a fortiori si vous ne vous exprimez pas dans votre langue maternelle. Or, la simplicité ne doit pas signifier que l’on doit être scolaire ou que l’on sacrifie l’exigence de réflexion ou le recours aux concepts, Ceux-ci sont d’ailleurs difficilement évitables dans un travail de recherche. Il ne s’agit donc pas d’être réducteur. On peut de toute manière expliquer avec simplicité des concepts complexes.
On peut ainsi s’habituer à rédiger des phrases courtes où les articulations sont plus faciles à discerner pour améliorer l’efficacité du propos. Ces phrases doivent également être de type déclaratif (par opposition aux types interrogatif, exclamatif, impératif) parce que ce sont celles qui permettent notamment d’énoncer des faits, de formuler une hypothèse, de décrire, d’expliquer …
Dans la même idée, il est aussi question de maîtriser, au moment de la composition d’un mémoire, l’art de la concision. Là encore, l’effet en terme d’efficacité sera saisissant, jamais une idée, une pensée, une réflexion ne sera mieux perçue par son lecteur que si elle est exprimée en peu de mots. Il ne faut pas oublier que, à trop vouloir convaincre, on peut répéter sa pensée sans même s’en rendre compte. Mais attention, ne faites pas des phrases de trois mots, vous composez un mémoire de recherche, pas un recueil de haïkus …
Le juste équilibre d’accord, mais concrètement ?…
Pour revenir plus précisément à ce qui nous intéresse, à savoir le contenu d’un écrit universitaire, trois éléments essentiels sont à retenir : il faut utiliser (sans en abuser et à bon escient les termes propres au discours universitaire, ou plus précisément la terminologie propre à votre discipline (Littérature, sociologie, droit …). Nous avons évoqué à ce propos dans l’article 2 la question des champs lexicaux. Il est également nécessaire de recourir aux termes propres à l’activité de recherche : ici le lexique est vaste, en voici quelques exemples avec des termes comme concept, facteur, résultat, présupposé ou les verbes démontrer, révéler, référer … Ou des expressions telles que mise en perspective ou champ de recherche, etc. Enfin, rappelons l’importance des termes ou locutions utiles pour renforcer la cohésion textuelle : j’ai évoqué à ce propos, également dans l’article précédent, le rôle crucial des articulations logiques dont la non-maîtrise peut parfois conduire une argumentation à des conclusions erronées …
Il ne s’agit donc pas de faire, à partir de ces trois éléments, une sorte de gloubi-boulga pour en sortir quelque chose qui ressemble vaguement à un mémoire. L’équilibre consiste ici à entrer dans ce genre d’écrit spécifique que constitue l’écrit universitaire en utilisant les moyens (lexique, structures linguistiques) qui permettent de construire rigoureusement votre objet d’étude et de le diffuser. Là encore, cela se construit patiemment en recueillant les notions utiles lors de vos lectures.
En forme de conclusion (provisoire) …
On a vu que l’écrit universitaire possède ses propres codes, codes d’un genre spécifique que l’on peut découvrir dès la première année de son cursus. Le travail de recherche qui est proposé par la suite contraint l’étudiant à adopter ce qu’on appelle une position épistémologique, position à partir de laquelle il doit être à même de produire des textes académiques avec les codes linguistiques (ou rhétoriques) qui les déterminent.
On n’oubliera pas que (pour revenir à des considérations plus générales) quand on écrit un mémoire, il faut aussi, bien entendu, éviter le langage « mode », dominant sur les médias ou sur les réseaux sociaux, par lequel on peut être influencé lorsqu’on en est un utilisateur régulier et qui est du plus mauvais effet ; et proscrire bien entendu le langage parlé. Il est essentiel de faire cette distinction entre les deux codes (écrit et oral). Les lectures effectuées tout au long de la recherche, et même du cursus universitaire , ne pourront qu’élargir le champ des possibles dans la maîtrise de ces structures et la pratique d’un langage soutenu. Non seulement cela augmentera considérablement la capacité à produire des idées, à construire des arguments et donc à enrichir la réflexion théorique de la recherche, mais ne pourra également qu’emporter l’adhésion du jury.
Il s’agit certes de se plier à l’observation de règles, mais encore de développer sa pensée de façon homogène et cohérente.
Enfin, et pour clore ici cette première approche en trois volets de l’écrit universitaire, j’ajouterai qu’une des règles de base pour se familiariser avec le style académique, au-delà des lectures, est le maniement même de la langue. Certes, cela ne s’improvise pas en urgence dans les derniers mois qui précèdent la rédaction du mémoire, mais c’est en s’exerçant quotidiennement que l’on acquerra les structures linguistiques nécessaires pour la maîtrise du code écrit dans ce type de travail.
A cet effet, la tenue d’un journal du mémoire, en parallèle à la rédaction du mémoire lui-même, peut constituer un exercice salutaire, qui permettra à l’étudiant d’adopter une position de surplomb par rapport à son propre travail, et de s’assurer progressivement une meilleure maîtrise de ces structures …
C’est en écrivant qu’on devient écriveron (Raymond Queneau)
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